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Journal de Flo
13 janvier 2005

John Kenneth Galbraith, le célèbre économiste américain, traque dans son dernier livre le décalage entre les idées admises et la


John Kenneth Galbraith, le célèbre économiste américain, traque dans son
dernier livre (*) le décalage entre les idées admises et la réalité.

Le désillusionniste + «On ne veut pas nommer le vrai pouvoir économique»
Par Laurent MAURIAC
jeudi 30 décembre 2004 (Liberation - 06:00
http://www.liberation.fr/page.php?Article=264896&AG)

Alan Greenspan, le respecté président de la Réserve fédérale américaine, ne
sert à rien. Mesurer la progression d'une économie avec la croissance du PIB
est une tromperie... Chez d'autres auteurs, on croirait volontiers à un
règlement de comptes. Pas chez John Kenneth Galbraith, le célèbre économiste
américain qui, dans son dernier livre, dénonce «les mensonges de l'économie»
(1). Tout au long de sa carrière de professeur et de vulgarisateur, ce
Canadien d'origine n'a eu qu'une ambition : faire progresser la connaissance
de l'économie pour améliorer le fonctionnement de la société.

Même s'il se situe dans une lignée keynésienne, Galbraith a toujours pris
soin de rester en marge des écoles et des théories. Arrivé à l'âge de 96
ans, l'économiste surprend dans son dernier opuscule. D'un auteur aussi
prolifique qui se retourne sur son passé, on attendrait plusieurs volumes.
Le résultat : moins de cent pages limpides qui pourront paraître simplistes
à certains, mais qui condensent à l'extrême ses deux exigences : traquer le
«décalage permanent entre les idées admises (...) et la réalité» et se
mettre à la portée de tous. Comme en témoignent ces extraits.

«L'économie de marché», expression creuse et mièvre

«Quand le capitalisme, avec son signifiant historique, a cessé d'être
acceptable, on l'a rebaptisé (...). L'expression polie est aujourd'hui
économie de marché. [Elle] est creuse, fausse, insipide et mièvre. Elle est
née du désir de se protéger du passé : le bilan peu reluisant du pouvoir des
capitalistes (...).»

La fausse mesure de la croissance

«Le niveau, la composition et l'extrême importance du PIB sont à l'origine
d'une des formes de mensonge social les plus répandues (...). La bonne tenue
d'une économie se mesure à la production des biens matériels et des
services. Pas l'éducation, la littérature, les arts, mais la production
d'automobiles (...). Tel est l'étalon moderne de la réussite économique et
donc sociale.»

Le travail en trompe l'oeil

«Le mot travail s'applique simultanément à ceux pour lesquels il est
épuisant, fastidieux, désagréable, et à ceux qui y prennent manifestement
plaisir et n'y voient aucune contrainte (...). Travail désigne à la fois
l'obligation imposée aux uns et la source de prestige et de forte
rémunération [des autres]. User du même mot pour les deux situations est
déjà un signe évident d'escroquerie.»

Management = bureaucratie

«L'entreprise moderne condamne le terme de bureaucratie. Ce mot-là, c'est
pour l'Etat. Management, l'expression consacrée pour les entreprises, fait
plus dynamique.»

(1) John Kenneth Galbraith, Les mensonges de l'économie, Grasset, 96 pp., 9
EUR.

«On ne veut pas nommer le vrai pouvoir économique»
Par Laurent MAURIAC
jeudi 30 décembre 2004 (Liberation - 06:00 -
http://www.liberation.fr/page.php?Article=264897)

Presque centenaire, John Kenneth Galbraith accepte de répondre à nos
questions par e-mail, avec l'entremise de son assistante. Un mois plus tard,
nous recevons ses réponses rédigées dans un anglais presque littéraire, loin
du jargon économique. Inquiet de l'envolée du budget militaire américain,
l'économiste insiste sur la menace nucléaire, toujours présente selon lui.

Vous remarquez qu'on utilise le même mot «travail» pour définir des
situations opposées : le cadre supérieur aisé qui aime ce qu'il fait et
l'ouvrier mal payé pour qui c'est une contrainte. Est-ce que ce n'est pas
revenir à la base de la théorie marxiste ?

Pas du tout. Déjà en oeuvre, cette tendance a été relevée par Marx, mais
aussi par bien d'autres. Ces questions sont loin d'être seulement marxistes
; et personne ne devrait se priver d'une découverte ou d'une théorie par
peur d'être considéré comme marxiste.

Vous soulignez que le mot «capitalisme» a été remplacé par «économie de
marché», moins effrayant. L'évolution économique du XXe siècle ne
justifie-t-elle pas un tel changement de terme ?


Le terme «économie de marché» est tout simplement fabriqué. Celui qui
l'utilise ne veut pas nommer le vrai pouvoir économique. C'est
particulièrement vrai lorsque la production de biens et de services est
sujette à des prix contrôlés [par les entreprises], à la publicité, aux
méthodes de distribution. La référence à une économie de marché permet de
masquer ce contrôle. Ne pas s'exprimer avec exactitude revient à cacher la
réalité. Une forme de fraude très répandue.

En réformant le capitalisme, les Etats-Unis se sont concentrés sur
l'antitrust et l'Europe sur le social. Pourquoi deux directions si
différentes ?


L'attention américaine sur l'antitrust est traditionnelle et intimement liée
au système judiciaire. Aux Etats-Unis, il y a toujours eu l'espoir, plus
imaginatif que réel, que tout pouvait être réglé par la concurrence et le
marché. L'Europe s'est épargné cette erreur et a pris une direction plus
équilibrée.

Vous affirmez que la Fed, la banque centrale américaine, est inutile.
Pourquoi Alan Greenspan, son président, est-il si unanimement célébré comme
un génie ?


L'argent est largement bien considéré. Et le sont aussi ceux dont on pense
qu'ils gèrent cet argent, dans le cas de Greenspan en réglant l'offre de
monnaie par la fixation du coût de l'emprunt bancaire. On estime
généralement que l'offre monétaire est un moyen efficace d'influencer la
production, le profit et le marché. Alors que cette assertion a peu de
rapport avec la réalité ­ la récession et la croissance ont un effet bien
plus fort sur l'emprunt et la création monétaire ­, on considère qu'Alan
Greenspan maîtrise ce processus. L'espoir et un charme indéniable remplacent
la réalité. Des taux d'intérêt bas et la création monétaire ne sont pas
efficaces en période de récession, et à l'inverse, sont inutiles en période
de croissance.

Vous vous alarmez de la progression des dépenses militaires au point que,
selon vous, la distinction entre secteurs public et privé n'a plus lieu
d'être. N'est-ce pas exagéré ?


Une part majeure du budget américain est consacrée aux dépenses militaires.
Ce type de dépense doit toujours être envisagé en considérant son but
ultime, à savoir le recours à la bombe atomique. Je suis concerné par la
menace militaire, présente ou potentielle, pour la vie humaine et le
bien-être. Cette menace reste une réalité pressante. Je suggère que personne
ne considère comme politiquement extrême d'examiner ces questions. Ce doit
être la question politique la plus importante.
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